Mercredi 4 décembre à 18h30, à l’occasion d’une double actualité Stanislas Rodanski avec la parution de Substance 13 aux éditions des Cendres et de Je suis parfois cet homme aux éditions Gallimard, rencontre avec François-René Simon, qui a établi et préfacé les deux éditions. Le comédien Jean-Luc Debattice lira des extraits de ces ouvrages.
Stanislas Rodanski (1927-1981) fait partie des marges du surréalisme, de ces figures extrêmes, comme Jacques Vaché, qui en posent naturellement les jalons. Exclu du mouvement par André Breton en 1948 en même temps que Sarane Alexandrian, Alain Jouffroy et Claude Tarnaud, il a néanmoins conservé son amitié et son admiration ainsi que celles de Julien Gracq, qui a préfacé un volume d’œuvres en prose (Christian Bourgois, rééd. 1999). Rodanski fut aussi l’ami de Jacques Hérold, de Victor Brauner et de Jacques Veuillet qui, à la fin de sa vie, réunit de très nombreux manuscrits et les remit fin 2004 à la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet.
« Il continue sa route. »
Cette phrase banale est la dernière qu’on entend de la bouche même de Stanislas Rodanski (1927-1981) dans Horizon perdu, le film bouleversant tourné avec lui par Bernard Cadoux et Jean-Paul Lebesson dans l’enceinte de l’hôpital Saint-Jean-de-Dieu où il était interné depuis 1954. Elle résume le sort de ses publications, qui ne cessent de s’amplifier.
Après Requiem for me en 2009, les éditions des Cendres font paraître aujourd’hui Substance 13, chronologiquement première tentative romanesque de Rodanski. Ecrit à la manière d’un scénario lors de son premier long internement à l’hôpital de Villejuif au cours de l’été 50, ce récit halluciné met en scène les personnages de sa fantasmagorie : lui-même pour commencer, sous les traits évolutifs de son avatar, Jacques Vaché en personne ! On y croise également quelques figures du monde réel ou surréel, André Breton et Claude Tarnaud par exemple, plus ou moins “fictionnifiés”. Une atmosphère brumeuse baigne cette intrigue aux péripéties aussi chaotiques, aux contours aussi flous que ceux d’un rêve. Dans ce film verbal, l’écran cesse d’être une frontière et le lecteur finit par fusionner avec ce qu’il lit.
Depuis La victoire à l’ombre des ailes (1975), son premier livre, les textes narratifs, autobiographiques et autres journaux de Rodanski ont pris le dessus, par leur poésie même, sur son œuvre poétique stricto sensu. Je suis parfois cet homme, que publie aujourd’hui Gallimard, rassemble quelques-uns des très nombreux poèmes que Rodanski a écrits de son adolescence jusqu’à son internement définitif, à mi-parcours d’une existence assez brève (54 ans).
Substance 13, roman de l’inachèvement sous toutes ses formes, est le premier écrit de longue haleine auquel se soit attaqué Stanislas Rodanski au cours de son internement à l’hôpital de Villejuif (1949-1953). Dans ce défi lancé par un poète à la littérature policière de l’époque, ce “roman-détective” convoque quelques-unes des figures du surréalisme : André Breton, bien sûr, et quelques autres qui furent les amis de “Stan” au moment où lui-même faisait partie, de plus ou moins près, du mouvement surréaliste. Personnage central de cette narration chaotique et hallucinée : le légendaire Jacques Vaché, en double de l’auteur et inversement. L’intrigue a le flou de certains rêves et l’on finit par se perdre dans les brumes des horizons perdus avant de devenir soi-même l’autre de Rodanski
Je suis parfois cet homme rassemble un grand nombre d’écrits, la plupart inédits, qui se trouvent à la Bibliothèque Jacques Doucet, où ils ont été classés par l’éditeur de ce volume, François-René Simon, familier de l’œuvre de Rodanski et co-organisateur de l’importante rétrospective qui lui fut consacrée en 2012 à Lyon, sa ville natale (et sépulcrale).
Comme Julien Gracq l’avait pressenti, l’œuvre et l’aura de Stanislas Rodanski
ne cessent de susciter un intérêt grandissant et souvent passionné, tant son verbe et sa personnalité imposent une présence hors-norme, laquelle ne trouverait d’équivalent que du côté d’Antonin Artaud. La publication de ce recueil de poèmes lui rend enfin sa place parmi les grands poètes français du XXe siècle, ainsi que dans le catalogue de Gallimard aux côtés de ses contemporains Jean-Pierre Duprey et Ghérasim Luca.
Ce recueil est constitué de poèmes écrits entre 1946 et 1952, en vers libres et en prose, qui permettent la redécouverte d’un Rodanski poète à travers ses thèmes les plus chers : l’errance, la femme, la quête de l’être à travers le néant, l’aventure métaphysique, l’énigme, le cœur, les éléments. Le poète arpente en veilleur un territoire froid et nocturne. Il veille sur les mots, les dévisage, et veille sur lui-même, à la recherche d’une lueur de vie. Dans son paysage intérieur sont dressées des phrases-lanternes auxquelles il revient toujours pour relancer son discours et réchauffer sa flamme. Les jeux sur les mots rappellent certaines formules magiques de sorcières shakespeariennes ou des tarots. Rodanski suit les mots tout en disant « je suis les mots ». Il utilise les paradoxes et les antithèses pour forcer le langage, pour trouver la voie de l’être et le cours de la liberté. « Je suis à la recherche du mot de passe » (p. 77). Chez lui la folie est devenue une « vertu morale » et Rodanski se réclame du « fanal de Maldoror » tout en marchant dans les pas de Nerval. L’utilisation récurrente de la première personne et ses thèmes nocturnes et cosmogoniques l’apparentent au romantisme allemand de Novalis et de Hölderlin. Retrouvant par moments les accents de la poésie courtoise (références à Tristan), Rodanski dialogue également avec le panthéon surréaliste (allusions à Breton, Sade, Vaché, Jarry, Rimbaud), dans un style unique, cristallin, où pointe un humour noir et désespéré.