Il arrive que les plus grandes tragédies se jouent sur un bout de rue maquillé à la craie… Des ruelles poussiéreuses de Ouagadougou aux pelouses des terrains de football européens, il n’y a qu’un pas, celui de l’espoir. Mais l’espoir peut rapporter gros à celui qui sait y faire : il suffit d’un peu de magie pour enfermer dans le creux de ses mains une armée de gamins qui rêvent d’étoiles brodées d’or. Par dizaines, le Sorcier Blanc les tient sous sa semelle, monnayant leurs espérances comme leur vie. Jusqu’au jour où un jeune gardien de but abandonne tout désir de gloire pour faire équipe, et ose se dresser face à l’emprise du Sorcier Blanc.
Franco-Algérien né en 1991, Mathieu Vivion découvre son appétit pour l’écriture sur les bancs de l’école Supérieure de Journalisme de Paris. Son goût de dire et disséquer avec précision et un peu d’absurdité les dérives de notre société est né de sa rencontre avec les œuvres de Jean-Luc Lagarce, Kae Tempest ou encore Wajdi Mouawad. Oscillant sur plusieurs fils tissés par la littérature, le théâtre et la scène alternative, Mathieu cherche le raffinement autant que la percussion, équilibre complexe mais, comme il le dit: s’il tombe, ce sera pour mieux retourner le monde. LE SORCIER BLANC est son premier roman
Une immersion dans la zone industrielle de Karachi, atelier du monde où sont fabriqués nos objets de consommation courante. La révélation d’une violence qui interroge aussi nos comportements : quels sont les coûts humains de notre économie mondialisée ?
Le 11 septembre 2012, 255 ouvriers et ouvrières des Ali Enterprises, fabriquant des jeans pour le compte du groupe allemand KiK, périssent dans l’incendie de leur usine à Karachi. Accident ou attentat? La tragédie suscite des interprétations contradictoires. Faut-il incriminer les logiques prédatrices de la fast-fashion ou les méthodes mafieuses des partis politiques qui ont mis la ville en coupe réglée?
Partant de la controverse née de la catastrophe, cette enquête nous plonge dans les zones d’ombre de la mondialisation. Explorant les méandres de la capitale industrielle pakistanaise, elle montre comment l’économie manufacturière fait de l’ordre avec du désordre, du profit avec des conflits – au détriment des travailleurs.
À Karachi comme ailleurs, voyous, miliciens ou ex-militaires s’avèrent de redoutables relais de la domination patronale. La comparaison avec l’Europe, les États-Unis et l’Amérique latine confirme la place centrale de ces marchands de force dans la dynamique du capitalisme. Troupes de choc des luttes antisyndicales, ils participent désormais à la casse de l’État social.
«On ne peut plus rien dire!» Vraiment? Les réacs se plaignent de ne pouvoir s’exprimer librement, pourtant ils continuent de déverser leur haine et d’entretenir l’invisibilisation des voix minorisées, celles qui ne portent pas le privilège de l’homme blanc cis hétérosexuel. À l’heure où chaque jour voit éclore sa nouvelle pseudo-polémique – «menacewoke», «cancel culture»,«nouvelles censures» (stratagèmes développés par celleux qui monopolisent la parole, et refusent d’admettre que leur pouvoir est remis en cause), Monstrograph donne la parole aux artistes qu’on entend moins, ou pas assez. Objectif: éclairer leur réalité de créateurices, et les questions qu’iels se posent en matière de liberté de création. Leslie Barbara Butch, Ovidie, Habibitch, Guillaume Meurice, Axelle Jah Njiké… Dix-sept créateurices toutes disciplines confondues répondent ainsi à douze questions:peut-on s’autoriser à s’emparer d’un sujet si on n’est pas concerné·e; est-il risqué de créer; reste-t-il possible de dire ce qu’on veut sans craindre les représailles? Riches et incarnées, leurs réponses mettent en lumière quelques constats délicats: violences perpétrées par les raids de trolls mais aussi intracommunautaires,difficultés à se déconstruire, logiques à l’œuvre en matière de diffusion et d’accès aux financements. En cette époque ultraréactive, et marquée par l’omniprésence des réseaux sociaux, le chemin de la création reste semé d’embûches. Mais ces obstacles sont aussi vus par certain·es comme un moyen de réinventer leur art. À la clé, un éventail de profils pluriel et évolutif, à l’image des questions que chaque artiste devrait se poser: tout dire, oui, mais pour dire quoi? Et comment?Les artistes: Ayouba Ali, Hakim Atoui, Johanny Bert, Leslie Barbara Butch, Marie Docher, CamilleDucellier, Habibitch, Alistair Houdayer, Axelle Jah Njiké, Guillaume Meurice, LauraNsafou, Oh Mu, Ovidie, Christelle Pécout, Kelsi Phung, Niels Rahou et Boulomsouk Svadphaiphane.
Sophie Darcq est à la fois une inconnue, puisque Hanbok est son premier livre, et quelqu’un qu’on ne présente plus dans le milieu de l’édition alternative ou dans la petite communauté d’autrices et d’auteurs d’Angoulême, où son talent est reconnu depuis longtemps. Née Coréenne en 1976, française d’adoption, Sophie Darcq est diplômée de l’EESI et a été résidente à la Maison des Auteurs d’Angoulême, avant de décider de partir en Corée sur les traces de sa famille biologique, avec l’une de ses quatre soeurs. C’est cette histoire que raconte Hanbok, récit familial poignant, entre l’exorcisme et la nécessité de connaître ses racines. Commencé il y a une quinzaine d’années, Ce premier tome de Hanbok (sur deux prévus) se démarque du flux de bandes dessinées autobiographique actuel par le profond besoin de vérité qu’on y trouve et par le brio du dessin. Passant avec désinvolture d’un style réaliste époustouflant à une grammaire minimaliste, d’un registre épistolaire à une narration historique, Sophie Darcq maîtrise son sujet et le langage de la bande dessinée comme peu d’autrices publiant leur premier livre.
Rencontre animée par Virginie Vernay, Delfeil de Ton et Pacôme Thiellement.
« Même les plus cons ont leur jour de gloire : leur anniversaire » (Cavanna)
Célébrons donc le centenaire de la naissance de François Cavanna (1923-2014), et plutôt deux fois qu’une chez Wombat, qui publie le 20 janvier deux livres surprenants de Cavanna : Le dernier qui restera se tapera toutes les veuves, anthologie originale regroupant ses nécrologies sur près d’un demi-siècle (1969-2013), et Stop Crève, suivi de C’est pas fini !, son étonnante réflexion sur la mort et l’immortalité, dans une version inédite et augmentée : « La seule façon non névrotique de cohabiter avec l’idée de sa propre mort est d’envisager la possibilité de la supprimer physiquement, et d’y œuvrer. » On discutera donc de mort, d’immortalité et de bien autres choses en compagnie de Virginie Vernay (éditrice), Delfeil de Ton (préfacier) et Pacôme Thiellement (essayiste).
Aurélie Olivier publie son premier livre de poésie “Mon corps de ferme” aux éditions du commun. C’est avec une immense joie que nous la recevons pour une discussion avec Benoît Colboc, auteur de Topographie aux éditions Isabelle Sauvage.
Le rencontre sera animée par Alain Nicolas.
Mon corps de ferme de Aurélie Olivier, éditions du commun Se présentant comme un « texte terroir tout terrain », le recueil d’Aurélie Olivier développe une poésie de l’agroalimentaire, en forme de retour sur son enfance dans une ferme d’élevage. À l’histoire de l’industrialisation de la campagne se mêle celle, plus intime, de sa famille. À l’aune de son histoire particulière, Aurélie Olivier examine ce que l’industrie agro-alimentaire et les fermes qui en sont à la base disent du monde. Catholicisme, genre et sexualisation des corps, consommation, Aurélie Olivier dissèque l’enfance rurale qui a été la sienne dans une langue propre à son milieu d’origine : pudique, parcimonieuse, tout en étant chargée de références et de double-sens.
Topographie de Benoît Colboc, éditions Isabelle Sauvage D’une histoire banale en soi, Benoit Colboc forme un vrai projet littéraire. C’est dans l’écriture même de ce récit non linéaire, construit par petites touches, que semble se faire jour une compréhension, laissant par là-même le lecteur tracer son chemin, sa carte, sa topographie. L’auteur n’explique pas : pas de liens de causalités, encore moins d’effets, ni de morale. Il sait qu’il faut se défier de sa mémoire, de son imaginaire, de ce qu’on prend comme des vérités, cette « boucherie sans hémoglobine que l’on appelle souvenirs ». Il y a donc une famille (un père, une mère, une sœur, un frère et enfin le « dernier », le narrateur). La famille est ordinaire, entendons par là qu’elle répond aux us et coutumes d’une époque, avec ses habitudes, ses « qu’en dira-t-on » ; sorte « d’entre soi » social et culturel ennuyeux. Chacun a sa place, ou plutôt la place que les autres lui laissent et/ou qu’il veut ou peut bien prendre. La pièce centrale est le père, et pourtant si peu là. Chacun s’appréhende en fonction de cette place, ainsi le père et la fille « se comprennent » parce que chacun est l’aîné de sa fratrie, ou encore le fils « sillonne le succès » et respecte « les bases », voué à prendre la suite du père… Sauf le « dernier », décalé, en hostilité avec le père car il a « déplacé le pire pour élucider sa souffrance », les souvenirs l’égarent, induisent des erreurs qui font du père « un monstre ». Un événement redessine la carte : le suicide du père, qui ébranle la distribution des charges et dément les certitudes. Avec cette disparition, le père, qui aimait « les entre-deux, les ambiguïtés », a choisi la radicalité : il « s’est libéré ce père fracturé », « il décidait une dernière fois ». La mère, gardienne du « cela ne se fait pas », retrouve quelques accents à sa vie. Le « on ne dit rien à personne » s’entrouvre : le « dernier » a été tous les vendredis soirs « l’enfantchériprêté de tous les caprices » à un couple de personnes âgées. Annihilé et oublié pendant des années, ce couple de vieux, leurs gestes et les circonstances. Mais il y a comme des « flous » – quelques bribes des actes subis – qui perdurent, déplacés : « longtemps je les ai cherchés dans un rêve avec le père ». Et ceci s’effondre avec le suicide, cette fracture : « Je l’accablais de ce qu’il n’avait jamais fait ». Une défaillance que le narrateur sature avec son écriture boitillante, ses phrases heurtées, son récit désarticulé, ses conjugaisons mélangées… se désavouant puis rétablissant enfin : « j’avais refusé de voir », de le voir, « Lui qui m’aimait et qui était moi. J’étais lui ». Une « concorde » peut dès lors s’établir, mais du côté d’une balafre : « je / tu / fondus / Nos démolis ». Ainsi partagent-ils sans doute l’ambivalence de la honte et de la culpabilité ?